On peut la faire par tous les temps!
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Compte rendu de la sortie au Bois du Baus, Vialas le 5 février 2021.
Emeric Sulmont nous a proposé de nous familiariser avec l’indice de biodiversité potentielle, un outil accessible aux néophytes qui permet d’évaluer la capacité d’accueil d’une forêt du point de vue de sa biodiversité. Il s’agit bien d’un outil d’estimation qui est d’autant plus performant et pertinent quand il permet de comparer plusieurs forêts entre elles et que le même observateur estime chacun des 10 critères à observer : Diversité d’essences d’arbres, diversité des strates de végétation, présence (et fréquence) de zones humides, de rochers, de milieux ouverts, de très gros bois vivant (> 70 cm de diamètre), de bois mort debout, de bois mort au sol, de microhabitats dans les arbres (= dendromicrohabitats ou dmh pour les intimes) et enfin un critère pas toujours facile à apprécier sur le terrain, le fait que la forêt qu’on inspecte est ancienne ou non. Pour estimer ce dernier critère, des cartographies anciennes ou des archives peuvent être intéressantes à explorer, le site géoportail.gouv.fr peut s’avérer très utile. De manière plus pragmatique la présence de terrasses de cultures ou de plantations d’essences exotiques démontrent que la forêt qu’on observe aujourd’hui est sans doute passée par une étape sans couvert forestier plus ou moins longue, ce qui impacte considérablement la biodiversité du sol. Evidemment l’abondance d’arbres séculaires est l’indice le plus probant, mais il n’est pas systématique dans les forêts anciennes.
A la première sortie, Noelle avait emmené le groupe dans une forêt spontanée de pins sylvestre, bouleau et châtaignier sous la route des crêtes aux environs du lieu-dit Terre d’Al sur la carte IGN, forêt relativement riche en essences forestières avec pas mal de « dendromicrohabitats » dont le polypore du pin (Phellinus pini), un champignon assez typique des pinèdes vieillissantes. Il est curieusement peu commun en Cévennes malgré l’abondance des pinèdes.
Cette fois-ci Emeric nous accompagne sur une boulaie (forêt de bouleau) vieillissante où nous constatons tous l’abondance du bois mort au sol. Très rapidement, nous observons les premiers polypores du bouleau : Piptoporus betulinus, un champignon que Ötsi, l’homme découvert dans un glacier à la frontière austro-italienne dans les années 90, avait déjà dans sa besace, probablement pour ses vertus cicatrisantes, immunostimulantes et antibiotiques. Ce champignon est caractéristique des bouleaux sénescents ou morts. Le plus souvent blanc immaculé, il est parfois légèrement brun sur le dessus, sa cuticule (fine enveloppe recouvrant le champignon) aurait aussi servi autrefois à peaufiner l’aiguisage des couteaux (comme le font certain coutelier avec le cuir).Le bouleau étant un arbre pionnier, lorsqu’il commence à mourir, c’est donc qu’il a en partie fini « son travail » de préparation d’une forêt plus mâture comme la hêtraie ou la hêtraie sapinière (au dessus de 1100 m d’altitude en Cévennes). Ici, au bois du Baus, au cœur de la boulaie, subsiste justement une hêtraie, comme un témoin d’une forêt ancienne ou plus probablement d’un pâturage boisé.
Dans une fissure de rocher, nous observons les feuilles caractéristiques de l’Alchemille des rochers, une plante montagnarde qui trouve refuge dans les surplomb rocheux abrités des versants nord des vallées cévenoles. Sur le Mont Lozère elle fait l’objet de cueillette réglementée pour ses vertus médicinales.
Continuant l’exploration mycologique hivernale de ce boisement, nous découvrons aussi de nombreux fragments de branches mortes entièrement vert-turquoise, il s’agit d’un phénomène de coloration du bois très esthétique lié à un champignon du genre Chlorociboria ou pézize turquoise (l’identification à l’espèce est délicate sans champignon « fructifié »).
Evidemment associé au bouleau nous découvrons le fameux chaga (Inonotus obliquus), le champignon réputé pour ses vertus immunostimulantes notamment (et que Ötsi avait aussi dans sa besace). Il est rare en Cévennes et cantonnée aux belles boulaies sénescentes de versant nord. Il s’agit là de la forme imparfaite, celle-là même qui est broyé pour faire des infusions ou décoctions. La forme parfaite du champignon est plus fugace et discrète (sous les écorces), c’est elle qui émet des spores. Ici, notre Chaga ressemble à une sorte de loupe carbonisé.
Plus haut toujours sur bouleau, nous trouvons l’amadouvier (Fomes fomentarieus), le 3ièmechampignon que Ötsi portait également sur lui ! voir aussi : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ötzi)
On extrait depuis très longtemps une sorte de feutre de l’amadouvier En Roumanie (très riche en vieilles forêts), il existe encore un artisanat qui l’utilise pour fabriquer : chapeau, veston, porte-feuille, à l’instar de l’artisanat du liège au Portugal. Certains pêcheurs à la mouche utilisent encore un fragment d’amadou pour sécher leurs mouches ! Et les briquets à amadou était l’une des manières les plus utilisés pour allumer un feu au 19ièmesiècle. Ce champignon est plus commun sur Hêtre, il peut former des colonies de plusieurs dizaines de champignons sur un tronc mort ou sénescent, il abrite alors très souvent un cortège particulier d’insectes dont un coléoptère : le Bolitofage très original par l’odeur qu’il émet lorsqu’il est dérangé, une odeur de produit chimique (sans doute pour dissuader les prédateurs).
Nous terminons ce survol des polypores du bois de Baus, par le polypore marginé qui pousse ici sur bouleau bien qu’il soit nettement plus commun sur résineux (pins, sapins, épicéas et même douglas). C’est un bon indicateur de forêt mâture mais pas toujours très ancienne.
Ce survol des champignons remarquables du Bois du Baus, ne nous empêche pas de réaliser en commun une évaluation de l’indice de biodiversité potentielle de cette forêt. Et bien que les essences forestières soient moins variées que dans le boisement mixte de la Terre d’Al vu à la première session, le bois mort et les « dendromicrohabitats » y sont nettement plus fréquents : polypores, branches mortes, mousses et lichens sur troncs, cavités diverses…
Si chacun réalise régulièrement un indice de biodiversité potentielle (IBP) autour de chez lui, on finira peut-être par découvrir une forêt hors du commun… Dans le pire des cas, cela incite à admirer nos forêts « autrement » comme des milieux naturels d’abord « ressourçants » mais au fonctionnement complexe et dont la gestion ne doit pas toujours être opposée à celle des milieux ouverts (puisque ceux-ci font partie de l’écosystème forestier !).
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